Corte Europea Dei Diritti dell’Uomo:sentenze

AFFAIRE DJALTI c. BULGARIE

31206/05 | Arrêt (au principal et satisfaction équitable) | Cour (Quatrième Section) | 12/03/2013
Violation de l’article 5 – Droit à la liberté et à la sûreté (Article 5-1-f – Expulsion) Violation de l’article 5 – Droit à l… more…
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QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE DJALTI c. BULGARIE
(Requête no 31206/05)
ARRÊT STRASBOURG 12 mars 2013
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Djalti c. Bulgarie,
La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :Ineta Ziemele, présidente,
Päivi Hirvelä,
George Nicolaou,
Ledi Bianku,
Zdravka Kalaydjieva,
Krzysztof Wojtyczek,
Faris Vehabović, juges,
et de Lawrence Early, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 février 2013,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 31206/05) dirigée contre la République de Bulgarie et dont un ressortissant algérien, M. Semir Azuz Djalti (« le requérant »), a saisi la Cour le 16 août 2005 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Me Y. Grozev, avocat à Sofia. Le gouvernement bulgare (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme M. Dimova, du ministère de la Justice.

3. Le requérant se plaint en particulier du caractère injustifié de sa détention aux fins d’exécution d’une mesure de reconduite à la frontière, de l’absence de recours effectif à cet égard et des conditions de sa détention.

4. Le 25 mai 2009, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1982 et réside actuellement à Sofia.

A. L’entrée du requérant en Bulgarie et les mesures prises à son encontre

6. Le 22 janvier 2004, le requérant entra irrégulièrement en Bulgarie par la Turquie. Le 18 février 2004, il déposa une demande d’octroi du statut de réfugié. Un permis de séjour temporaire lui fut délivré à ce titre. Sa demande fut rejetée par l’Agence nationale pour les réfugiés le 19 février 2004. Le recours judiciaire qu’il introduisit fut rejeté par le tribunal de la ville de Sofia le 26 avril 2004.

7. Par un arrêté du 12 juillet 2004, le directeur régional des affaires intérieures de Sofia ordonna la reconduite à la frontière du requérant au motif que l’intéressé demeurait illégalement sur le territoire suite à l’expiration de son titre de séjour temporaire. L’arrêté disposait que le requérant devait être placé en rétention jusqu’à l’exécution de la mesure. Par un autre arrêté du même jour, le directeur du service des migrations de la direction régionale des affaires intérieures constata que la reconduite à la frontière ne pouvait être immédiatement exécutée dans la mesure où le requérant ne disposait pas de document de voyage valide ni de moyens pour assurer le retour dans son pays et ordonna en conséquence le placement de l’intéressé dans un centre de rétention temporaire pour adultes (дом за временно настаняване на пълнолетни лица). Les deux arrêtés indiquaient qu’ils étaient susceptibles de recours en application de la loi sur la procédure administrative.

8. Le même jour, le 12 juillet 2004, le requérant fut arrêté et placé dans le centre de rétention temporaire pour adultes Druzhba-2, à Sofia. Selon l’intéressé, l’arrêté de placement en rétention ne lui fut pas formellement notifié et il n’en eut connaissance que bien plus tard à l’occasion du recours judiciaire qu’il introduisit.

9. En octobre 2004, le requérant put s’entretenir avec un avocat spécialisé. Le 4 octobre, il introduisit par l’intermédiaire de celui-ci un recours judicaire contre l’arrêté de placement. Dans son recours, il indiquait expressément qu’il ne contestait pas la mesure de reconduite à la frontière mais que l’arrêté de placement en rétention, bien qu’initialement régulier, était devenu sans fondement en l’absence de mesures entreprises en vue de son expulsion pendant près de trois mois, et faisait référence à l’article 5 § 1 f) de la Convention.

10. Le 3 janvier 2005, le service de l’immigration adressa un courrier à l’ambassade d’Algérie pour demander la délivrance d’un document temporaire de voyage au requérant. Il y était indiqué que jusqu’à ce moment l’intéressé avait refusé de se faire photographier en vue de la délivrance d’un tel document ou de rencontrer des représentants de l’ambassade. Le 24 janvier 2005, l’ambassade demanda à obtenir des informations plus détaillées et à rencontrer le requérant, afin d’établir s’il avait effectivement la nationalité algérienne. Le requérant avait plusieurs fois déclaré aux autorités bulgares qu’il refusait de rencontrer des représentants de son pays d’origine par crainte de représailles.

11. Le tribunal de la ville de Sofia tint une audience le 9 février 2005. Par un jugement du 16 février 2005, le tribunal constata qu’au moment de la délivrance de l’arrêté litigieux les circonstances justifiant le placement en rétention, à savoir l’absence de documents de voyage et de ressources pour financer le voyage, étaient présentes. Il estima cependant que compte tenu de la durée de la détention, les autorités n’avaient pas fait preuve d’une diligence suffisante dans l’exécution de la mesure et que, malgré l’absence de coopération du requérant, elles auraient pu entreprendre d’autres démarches pour mettre fin aux obstacles à l’exécution. Le tribunal considéra que la détention du requérant ne se justifiait plus au regard de l’article 5 § 1 f) de la Convention et annula l’arrêté de placement. Sur recours de l’administration, ce jugement fut confirmé par un arrêt de la Cour administrative suprême du 27 septembre 2005.

12. Le requérant fut remis en liberté le 14 octobre 2005, après que son avocat ait adressé au centre de placement une demande à cet effet.

B. Les conditions de détention du requérant

13. En ce qui concerne les conditions de sa détention du 12 juillet 2004 au 14 octobre 2005 au centre de rétention pour adultes Druzhba-2, le requérant expose que la cellule qu’il occupait était d’une surface d’environ 12 m2, disposait d’un lit simple et de deux lit superposés et était occupée par cinq personnes la plupart du temps. Les détenus ne pouvaient sortir de leur cellule que deux fois par jour pour utiliser les sanitaires. Aucune sortie en plein air n’était autorisée pendant la saison hivernale ; durant l’été 2005, les sorties furent interdites suite à une tentative d’évasion.

14. Selon le témoignage, produit par le requérant, d’une personne qui fut placée dans le même centre de décembre 2003 à janvier 2004, la cellule dans laquelle il était installé mesurait quatre mètres sur quatre, quatre lits superposés y étaient placés et sept personnes partageaient la même cellule. Les personnes retenues devaient à chaque reprise demander l’autorisation pour aller aux toilettes et faisaient, à ces occasions, souvent face à la mauvaise volonté ou aux brutalités des policiers qui les gardaient. Durant son séjour de 37 jours au centre, il n’avait pu sortir en plein air qu’à deux reprises.

15. Le requérant se réfère également aux constatations faites dans le rapport, daté du 15 septembre 1995, du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants (CPT), qu’il estime pertinent dans la mesure où les conditions n’avaient guère changé au moment de sa détention. Le rapport du CPT, qui a effectué une visite au centre de rétention en avril 1995, constate notamment :

« La délégation a été particulièrement préoccupée par le fait que, lors de la visite, les personnes retenues au centre ne se voyaient pas offrir quotidiennement un exercice en plein air. Le CPT se félicite dès lors des informations fournies par les autorités bulgares, le 23 juin 1995, selon lesquelles les règles du centre ont été adaptées afin de garantir un tel exercice aux personnes retenues.

Le centre était composé essentiellement d’un baraquement, divisé en deux parties, chacune disposant de neuf chambres et d’une annexe sanitaire. Seule une des deux parties était en service lors de la visite. (…) Les dimensions des chambres variaient de 12 à 15 m² et étaient prévues pour l’hébergement maximum de cinq retenus. (…) il existait une tendance à remplir une chambre au maximum de sa capacité au lieu de répartir les retenus entre les différentes chambres disponibles. (…)

L’état d’entretien et d’hygiène dans les chambres était, en général, d’un niveau à la rigueur acceptable, et l’éclairage (y compris l’accès à la lumière naturelle) ainsi que la ventilation étaient bons. Toutefois, la délégation a constaté que la propreté de la literie laissait beaucoup à désirer. (…)

Sans aucun doute, le manque d’activités offertes aux retenus au centre est la question la plus préoccupante pour le CPT.

(…) les retenus devraient pouvoir se voir offrir l’accès à la lecture et à d’autres activités récréatives. En outre, l’utilisation du réfectoire comme salle récréative serait souhaitable (par exemple, en y installant un poste de télévision). »

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. L’entrée et le séjour des ressortissants étrangers

16. La loi de 1998 sur les étrangers en République de Bulgarie (закон за чужденците в Република България) régit l’entrée, le séjour et le statut des ressortissants étrangers. Les articles 39a et suivants régissent les mesures coercitives qui peuvent être imposées dans ce domaine, à savoir le retrait du permis de séjour, la reconduite à la frontière, l’expulsion, l’interdiction d’entrée sur le territoire ou l’interdiction de quitter le territoire.

17. En vertu de l’article 34 de la loi, les ressortissants étrangers doivent quitter le territoire avant l’expiration de leur permis de séjour. Le fait de demeurer sur le territoire après l’expiration de celui-ci constitue une infraction administrative passible d’une amende (article 48). En vertu de l’article 41 alinéa 2, l’étranger qui n’a pas quitté le territoire à l’expiration de son autorisation de séjour se voit imposer une mesure de reconduite à la frontière.

18. Les arrêtés de reconduite à la frontière sont susceptibles d’un recours administratif devant l’autorité hiérarchique et d’un recours judiciaire (article 46).

B. La rétention administrative en vertu de la loi sur les étrangers

1. L’état de la réglementation au moment de la détention du requérant

19. En vertu de l’article 44 alinéa 5 de la loi sur les étrangers, si l’exécution immédiate d’une mesure coercitive n’était pas possible, l’autorité compétente soumettait les personnes concernées, à titre de contrôle administratif, à l’obligation de se présenter tous les jours au commissariat de leur domicile.

20. Selon l’article 44 alinéa 6, dans sa rédaction en vigueur à l’époque des faits, l’autorité administrative pouvait, si elle l’estimait nécessaire, ordonner le placement des intéressés en centre de rétention, jusqu’à ce que la cause de l’empêchement disparaisse. Le placement en rétention était effectué sur décision écrite et motivée quant à la nécessité de celui-ci (article 44 alinéa 10 (ancien alinéa 8)).

21. Le décret no I-13 relatif au placement temporaire d’étrangers, à l’organisation et l’activité des centres spéciaux de rétention temporaire d’étrangers (наредба № I-13 от 29.01.2004 г. за реда за временно настаняване на чужденци, за организацията и дейността на специалните домове за временно настаняване на чужденци), pris en application de la loi sur les étrangers, précise les circonstances pouvant justifier un placement en rétention, à savoir l’absence de documents d’identité de la personne concernée ou de moyens financiers pour son retour, l’existence d’une procédure pendante en application de la loi sur l’asile et les réfugiés ou encore un état de santé ne permettant pas de voyager (article 10 du décret no I-13). Selon les articles 21 et 22 du décret, les autorités compétentes doivent rapidement prendre les mesures nécessaires pour permettre l’exécution des arrêtés de reconduite à la frontière ou d’expulsion et de faire périodiquement un rapport concernant les personnes qui sont placées depuis plus de six mois.

22. Le placement est effectué dans des centres spécialisés de rétention temporaire des étrangers (специални домове за временно настаняване на чужденци) (article 44 alinéa 7). Avant la création de tels centres, le décret no I-13 prévoyait que les étrangers sous le coup d’une mesure d’éloignement pouvaient être installés dans des centres de placement pour adultes (домове за временно настаняване на пълнолетни лица), destinés au placement temporaire de vagabonds ou de mendiants.

23. Concernant les voies de recours contre les mesures de placement, l’article 46 de la loi sur les étrangers disposait que les actes pris pour son application étaient susceptibles, par renvoi au régime général des actes administratifs, d’un recours administratif devant l’autorité hiérarchique et d’un recours judiciaire.

24. Sur la base de ce texte, la Cour administrative suprême examinait les recours introduits contre des mesures de placement en rétention en application de l’article 44, alinéa 6 de la loi (реш. № 2048 от 8.03.2005 по адм. д. № 7396/2004, ВАС ; реш. № 12844 от 17.12.2007 по адм. д. № 4761/2007, ВАС). La Cour administrative suprême a toutefois remis cette jurisprudence en question en 2008, en considérant que dans la mesure où les décisions de placement n’étaient pas expressément visées par l’article 46 et où elles revêtaient un caractère accessoire à la mesure de reconduite ou d’expulsion, elles ne pouvaient faire l’objet d’un contrôle séparé (реш. № 3529 от 26.03.2008 по адм. д. № 9216/2007, ВАС ; реш. № 8117 от 2.07.2008 по адм. д. № 4959/2007, ВАС).

25. Les changements législatifs intervenus en mai 2009 (voir ci-dessous) mirent fin à cette divergence de jurisprudence.

26. Par ailleurs, en vertu du décret no I-213 du 17 septembre 2003 (наредба № I-213 за […] домовете за временно настаняване на пълнолетни лица), les placements en centres pour adultes étaient susceptibles d’un recours judiciaire selon le régime général des actes administratifs (article 23, alinéa 1 (7) du décret).

2. La réforme de la loi sur les étrangers adoptée en mai 2009

27. A la suite des modifications de la loi sur les étrangers adoptées le 15 mai 2009 en transposition de la directive 2008/115/CE, l’article 44, alinéa 6 prévoit désormais que le placement en rétention n’est possible que dans les cas suivants : lorsque l’identité de la personne concernée n’est pas établie, ou que celle-ci entrave l’exécution de la mesure ou risque de s’y soustraire. Selon le nouvel alinéa 8 de l’article 44, la rétention est maintenue tant que ces conditions sont réunies. La durée maximum de la rétention est fixée à six mois. Elle peut être prolongée jusqu’à dix-huit mois dans certaines circonstances.

28. Le nouvel article 46a instaure un contrôle judiciaire des arrêtés de placement en centre de rétention. Ces décisions sont susceptibles d’un recours devant le tribunal administratif dans un délai de trois jours suivant le placement. Le recours n’a pas d’effet suspensif. Le tribunal examine le recours en audience publique et doit rendre une décision dans un délai d’un mois suivant le dépôt du recours. En outre, un contrôle automatique de la nécessité de la détention est effectué tous les six mois par le tribunal administratif, qui décide de prolonger la mesure ou d’y mettre fin. Lorsque le tribunal annule un arrêté de placement ou décide de mettre fin à la mesure, la personne concernée est immédiatement remise en liberté.

D. La responsabilité délictuelle des personnes publiques

29. L’article 1 de la loi de 1988 sur la responsabilité de l’Etat et des communes pour dommage (Закон за отговорността на държавата и общините за вреди) dispose que l’Etat et les communes sont responsables du préjudice matériel et moral causé par les actes, actions ou inactions illégaux de leurs organes ou agents à l’occasion de l’accomplissement de leurs fonctions en matière administrative.

30. La responsabilité de l’autorité publique à raison d’un acte administratif illégal pouvait être engagée après que celui-ci ait préalablement été annulé selon les procédures applicables. Depuis l’entrée en vigueur des dispositions pertinentes du code de procédure administrative le 1er mars 2007, il est également possible d’introduire un recours en annulation et une action en responsabilité simultanément (article 204, alinéa 2 du code). En ce qui concerne les actions ou inactions des autorités publiques, le caractère illégal de celles-ci doit être constaté dans le cadre de l’action en responsabilité (article 204, alinéa 4 du code).

31. En outre, l’article 2, alinéa 1, tel qu’applicable à l’époque pertinente, prévoit que l’Etat est responsable du préjudice causé par les autorités de l’instruction, du parquet et par les juridictions, du fait « d’une détention, notamment la détention provisoire, lorsque celle-ci a été annulée pour absence de fondement légal ».

32. Suite à une modification de la loi en date du 11 décembre 2012, cette disposition prévoit désormais la responsabilité de l’autorité publique pour toute détention effectuée en violation de l’article 5 §§ 1-4 de la Convention.

33. Aux termes de l’article 110 de la loi sur les obligations et les contrats (Закон за задълженията и договорите) l’action en responsabilité délictuelle se prescrit dans un délai de cinq ans.

34. Par ailleurs, à compter de 2003, les juridictions internes ont considéré que l’article 1 alinéa 1 de la loi de 1988 était applicable en cas de préjudice subi par une personne détenue du fait de mauvaises conditions ou de soins médicaux inadéquats en détention et ont, le cas échéant, accueilli, partiellement ou en totalité, les demandes en réparation des intéressés (pour les références de jurisprudence interne, voir Kirilov c. Bulgarie, no 15158/02, § 22, 22 mai 2008). Cette disposition a également été appliquée pour examiner des actions concernant les conditions de détention ou le suivi médical prodigué à des personnes détenues aux fins d’expulsion dans les centres de rétention pour étrangers (реш. № 14967 от 16.11.2011, адм. д. № 9889/2011, ВАС, III о.).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 f) DE LA CONVENTION

35. Le requérant soutient que son placement en rétention ne répondait pas à la condition de légalité exigée par l’article 5 § 1 dans la mesure où la loi interne ne prévoyait pas de garanties suffisantes contre l’arbitraire. Il estime en outre que sa privation de liberté n’était pas justifiée au regard de l’article 5 § 1 f) étant donné qu’aucune mesure en vue de son expulsion n’a été entreprise durant sa rétention. L’article 5 § 1 dispose en ses parties pertinentes :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales : (…)

f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. »

A. Sur la recevabilité

1. Arguments des parties

36. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes, faute pour le requérant d’avoir introduit une demande en dédommagement en application de la loi sur la responsabilité de l’Etat. Il expose que l’article 1 de cette loi prévoit la possibilité d’engager une action en réparation du préjudice causé par des actes ou des actions illicites des autorités publiques. En l’espèce, le requérant aurait obtenu, par le jugement du 16 février 2005, confirmé par la Cour administrative suprême le 27 septembre 2005, l’annulation de l’arrêté ordonnant son placement en rétention. Le Gouvernement en conclut que la loi sur la responsabilité de l’Etat pouvait trouver application en l’espèce et que le requérant avait de réelles chances d’obtenir une indemnisation s’il avait utilisé cette voie de recours.

37. Le requérant réplique qu’une action en application de la loi sur la responsabilité de l’Etat ne constituait pas un recours efficace dans son cas dans la mesure où, à l’époque des faits, une telle action ne pouvait être engagée seulement après que celui-ci avait été annulé dans le cadre d’une procédure préalable. Or, en l’espèce, les juridictions ayant examiné le recours du requérant ne se seraient pas penchées sur la légalité de la détention dès son début mais auraient uniquement considéré que la détention prolongée de l’intéressé n’était pas justifiée.

2. Appréciation de la Cour

38. La Cour rappelle que la règle de l’épuisement des voies de recours internes énoncée à l’article 35 § 1 de la Convention a pour finalité de donner aux Etats contractants l’occasion de prévenir ou de redresser les violations alléguées contre eux avant qu’elles ne soient soumises à la Cour. Lorsque les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la Convention, doubler la procédure interne d’une instance devant la Cour paraît peu compatible avec le caractère subsidiaire du mécanisme de sauvegarde instauré par la Convention. Celle-ci confie d’abord à chacun des Etats contractants le soin d’assurer la jouissance des droits et libertés qu’elle consacre (voir, parmi d’autres, Akdivar et autres c. Turquie [GC], 16 septembre 1996, § 65, Recueil des arrêts et décisions 1996‑IV ; Gavril Yossifov c. Bulgarie, no 74012/01, § 38, 6 novembre 2008 ; Rahmani et Dineva c. Bulgarie, no 20116/08, § 64, 10 mai 2012).

39. La règle de l’épuisement des voies de recours impose aux requérants de se prévaloir des recours normalement disponibles et suffisants pour leur permettre d’obtenir réparation des violations qu’ils allèguent. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues, et présenter des perspectives raisonnables de succès (Akdivar et autres, précité, § 66-68 ; Gavril Yossifov, précité, § 39).

40. En matière de privation de liberté, la Cour a considéré que lorsqu’un requérant soutient qu’il a été détenu en méconnaissance du droit interne et lorsque la détention litigieuse a pris fin, une action en réparation, capable d’aboutir à une reconnaissance de la violation alléguée et à l’attribution d’une indemnisation, est en principe un recours effectif qui doit être épuisé si son efficacité en pratique a été dûment établie (Rahmani et Dineva, précité, § 66 ; Gavril Yossifov, précité, § 42 ; Dolenec c. Croatie, no 25282/06, § 184, 26 novembre 2009 ; Kolevi c. Bulgarie (déc.), no 1108/02, 4 décembre 2007).

41. En l’espèce, la Cour relève que le jugement du tribunal de la ville de Sofia du 16 février 2005, puis l’arrêt de la Cour administrative suprême du 27 septembre 2005, ont constaté que compte tenu de la durée de la détention et de l’absence de diligence suffisante de la part des autorités pour procéder à l’exécution de la mesure de reconduite à la frontière, la détention du requérant méconnaissait l’article 5 § 1 f) de la Convention (paragraphe 11 ci-dessus). Sur la question de savoir si, comme le soutient le Gouvernement, l’intéressé pouvait dans ces circonstances obtenir une indemnisation en vertu de la loi de 1988 sur la responsabilité de l’Etat, la Cour observe que l’article 1 de cette loi prévoit de manière générale la responsabilité de l’administration pour ses actes ou actions illégaux. Lorsque le préjudice allégué découle d’un acte administratif, cette disposition exige que l’acte en question ait été annulé dans une procédure préalable ou que son annulation soit demandée simultanément à la demande de réparation.

42. La Cour note que le requérant a obtenu en l’espèce, avec les décisions mentionnées ci-dessus, le constat que sa détention prolongée méconnaissait l’article 5 § 1 f). Elle observe toutefois que les juridictions internes n’ont pas considéré que la détention du requérant était irrégulière ab initio mais, au contraire, que bien qu’initialement régulière, sa détention prolongée ne se justifiait pas compte tenu de l’absence de mesures engagées en vue de l’exécution de la mesure de reconduite à la frontière. En outre, les décisions en question ne déterminent en aucune manière à partir de quelle date la détention du requérant pourrait être considéré comme irrégulière. Dans ces circonstances, il n’apparaît pas que le requérant pouvait raisonnablement faire valoir, dans le cadre d’une action en responsabilité fondée sur l’article 1 de la loi de 1988, que sa détention était basée sur un acte dont le caractère irrégulier avait été reconnu par une juridiction interne et qui avait été annulé, et demander réparation du préjudice subi de ce fait (voir, a contrario, Rahmani et Dineva, précité, § 69). La Cour note au demeurant que le Gouvernement n’a fourni aucun exemple de jurisprudence interne où cette disposition aurait été appliquée dans une situation similaire.

43. Au vu de ces observations, la Cour n’est pas convaincue que dans les circonstances de l’espèce l’action en réparation évoquée par le Gouvernement apparaît comme un recours effectif, présentant des perspectives raisonnables de succès, dont l’épuisement était requis au titre de l’article 35 § 1 de la Convention. Partant, il convient de rejeter l’exception soulevée.

44. La Cour constate en outre que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il doit donc être déclaré recevable.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties

45. Le requérant soutient que son placement en détention ne répondait pas à la condition de légalité exigée par l’article 5 § 1 dans la mesure où la loi sur laquelle elle était fondée ne prévoyait pas de garanties suffisantes contre l’arbitraire. Il dénonce plus particulièrement le fait que la loi interne n’exigeait pas de prendre en compte des considérations telles que l’existence d’un logement stable et de moyens de subsistance de l’intéressé, ou encore le risque de trouble à l’ordre public, pour évaluer la nécessité de la détention, et ne prévoyait pas de procédures efficaces pour en contester la légalité. Le requérant estime en outre que sa privation de liberté prolongée n’était pas justifiée au regard de l’article 5 § 1 f) en l’absence de mesures entreprises en vue de l’exécution de la mesure de reconduite à la frontière prise à son encontre.

46. Le Gouvernement fait remarquer que le droit interne relatif à la rétention des étrangers a été modifié en mai 2009 et prévoit désormais que le placement en rétention n’est possible que dans les cas exceptionnels limitativement énumérés et que sa durée ne peut excéder six mois et ne peut être qu’exceptionnellement prolongée de douze mois.

2. Appréciation de la Cour

47. La Cour rappelle que les alinéas a) à f) de l’article 5 § 1 contiennent une liste exhaustive des motifs pour lesquels une personne peut être privée de sa liberté ; pareille mesure n’est pas régulière si elle ne relève pas de l’un de ces motifs (voir, parmi d’autres, Saadi c. Royaume-Uni [GC], no 13229/03, § 43, ECHR 2008, 29 janvier 2008). L’une de ces exceptions, énoncée à l’alinéa f) de l’article 5 § 1, permet aux Etats de restreindre la liberté des étrangers dans le cadre du contrôle de l’immigration (ibidem, § 64).

48. Pour qu’une détention se concilie avec l’article 5 § 1 f), il suffit qu’une procédure d’expulsion soit en cours et que celle-ci soit effectuée aux fins de son application ; il n’y a donc pas lieu de rechercher si la décision initiale d’expulsion se justifiait ou non au regard de la législation interne ou de la Convention ou si la détention pouvait être considérée comme raisonnablement nécessaire, par exemple pour empêcher un risque de fuite ou d’infraction. Seul le déroulement de la procédure d’expulsion justifie la privation de liberté fondée sur cette disposition ; si la procédure n’est pas menée avec la diligence requise, la détention cesse d’être justifiée au regard de l’article 5 § 1 f) (Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, §§ 112‑113, Recueil 1996‑V ; A. et autres c. Royaume-Uni [GC], no 3455/05, § 164, CEDH 2009).

49. Toute privation de liberté doit non seulement relever de l’une des exceptions prévues aux alinéas a) à f), mais aussi être « régulière ». En matière de « régularité » d’une détention, y compris l’observation des « voies légales », la Convention renvoie pour l’essentiel à la législation nationale et consacre l’obligation d’en observer les normes de fond comme de procédure, mais elle exige de surcroît la conformité de toute privation de liberté au but de l’article 5 consistant à protéger l’individu contre l’arbitraire (Amuur c. France, 25 juin 1996, § 50, Recueil 1996‑III ; Saadi, précité, §§ 66- 67).

50. L’article 5 § 1 exige ainsi que la détention ait une base légale en droit interne mais requiert également que la loi nationale autorisant une privation de liberté soit suffisamment accessible et précise afin d’éviter tout danger d’arbitraire (Amuur, précité, § 50). Par ailleurs, pour ne pas être taxée d’arbitraire une mesure privative de liberté prise sur le fondement de l’article 5 § 1 f) doit être mise en œuvre de bonne foi ; elle doit aussi être étroitement liée au motif de détention invoqué par le Gouvernement ; en outre, le lieu et les conditions de détention doivent être appropriés ; enfin, la durée de cette mesure ne doit pas excéder le délai raisonnable nécessaire pour atteindre le but poursuivi (A. et autres c. Royaume-Uni, précité, § 164, et, mutatis mutandis, Saadi, précité, § 74).

51. En l’espèce, la Cour constate que le requérant a été détenu en application d’une décision prise en vertu de l’article 44, alinéa 4, de la loi sur les étrangers, en l’attente de l’exécution de la mesure de reconduite à la frontière prise à son encontre. La détention avait dès lors une base légale suffisamment claire et prévisible en droit interne et la Cour ne dispose pas d’éléments indiquant que les autorités auraient agi de manière arbitraire ou de mauvaise foi dans l’exécution de cette décision. Quant à l’absence de nécessité, selon la législation interne en vigueur à l’époque, que la détention soit justifiée par un risque de fuite ou de trouble à l’ordre public, la Cour a rappelé ci-dessus (paragraphe 49) que l’article 5 § 1 f) ne comportait pas une telle exigence, l’existence d’une procédure d’expulsion ou d’éloignement étant suffisante pour justifier une privation de liberté au regard de cette disposition.

52. Concernant ensuite la question de savoir si « une procédure d’expulsion ou d’extradition [était] en cours » pendant toute la durée de la détention du requérant et si celle-ci était en conséquence justifiée au regard de l’article 5 § 1 f), la Cour relève que le requérant a été détenu pendant plus d’un an et trois mois en l’attente de l’exécution de la mesure de reconduite à la frontière. Elle note d’emblée que la durée de détention du requérant n’était pas justifiée par une procédure interne relative à la légalité ou à la compatibilité avec la Convention de sa reconduite à la frontière puisque l’intéressé n’avait pas introduit de recours contre cette mesure, qui était dès lors définitive et exécutable (voir A. et autres c. Royaume-Uni, précité, § 169 ; M. et autres c. Bulgarie, no 41416/08, § 68, 26 juillet 2011, et, a contrario, Chahal, précité, §§ 115-117). En l’espèce, la seule procédure judiciaire concernait la détention du requérant.

53. La Cour observe qu’au cours de la période en question, les autorités internes compétentes ont écrit au consulat d’Algérie pour demander la délivrance d’un document de voyage de l’intéressé. Sans un tel document, les autorités n’étaient pas en mesure de procéder à la reconduite à la frontière du requérant. Force est toutefois de constater que les autorités bulgares n’ont pas répondu à la demande d’informations complémentaires de la part du consulat et n’ont entrepris aucune autre démarche pour en accélérer la délivrance par les autorités algériennes. Il est vrai que certains éléments au dossier indiquent que le requérant n’était pas enclin à coopérer avec les autorités et avait refusé de se faire prendre en photo et de rencontrer des représentants de l’ambassade d’Algérie (paragraphe 10 ci-dessus) ; compte tenu de la passivité des autorités bulgares, le comportement du requérant n’apparaît cependant pas comme la cause majeure du retard pris dans l’exécution de la mesure de reconduite à la frontière.

54. Ces constatations sont d’ailleurs conformes à l’appréciation de la conduite des autorités à laquelle se sont livrées les juridictions internes (paragraphe 11 ci-dessus). Le tribunal de la ville de Sofia et la Cour administrative suprême ont ainsi considéré que les autorités n’avaient pas fait preuve d’une diligence suffisante et que malgré l’absence de coopération du requérant elles étaient tenues d’entreprendre d’autres démarches pour mettre fin aux obstacles à l’exécution de la mesure de reconduite à la frontière. La Cour ne relève en l’espèce aucun élément de nature à l’inciter à s’écarter de ces constatations.

55. En conclusion, la Cour estime que le motif ayant justifié la détention du requérant à l’origine – la procédure de reconduite à la frontière pendante à son encontre – n’est pas demeuré valable pendant toute la durée de sa détention compte tenu de l’absence de diligence suffisante des autorités dans l’exécution de cette mesure. Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION

56. Le requérant dénonce également l’absence d’un recours effectif pour contester la légalité de sa détention au regard de l’article 5 § 4, qui se lit comme suit :

« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

57. Le Gouvernement conteste cette thèse.

A. Sur la recevabilité

58. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il doit donc être déclaré recevable.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties

59. Le requérant soutient qu’il n’a pas eu accès à un recours répondant aux exigences de l’article 5 § 4. Il se réfère en particulier aux difficultés pratiques d’engager un tel recours compte tenu de l’absence de notification de l’arrêté de placement en détention, de sa méconnaissance du droit applicable et de la langue bulgare et de l’impossibilité de consulter un avocat. Il ajoute que la procédure à laquelle il a finalement eu accès ne saurait passer pour effective au sens de l’article 5 § 4 dans la mesure où le tribunal n’aurait pas examiné tous les arguments soulevés dans son recours, concernant notamment l’absence d’information au regard de l’article 5 § 2 de la Convention ou l’illégalité ab initio de la détention au regard de l’article 5 § 1. Il dénonce enfin la durée excessive de l’examen de son recours.

60. Le Gouvernement souligne que le requérant disposait d’un recours interne effectif dont il a fait usage avec succès puisque le recours introduit a abouti à l’annulation de l’arrêté de placement et la remise en liberté de l’intéressé. Il fait également remarquer que suite aux modifications de la loi sur les étrangers en mai 2009, le droit interne prévoit désormais un recours spécifique en cas de détention ordonnée en vue d’une expulsion ou d’une reconduite à la frontière, ainsi qu’un contrôle périodique de la justification de la détention.

2. Appréciation de la Cour

61. La Cour rappelle que l’article 5 § 4 reconnaît à toute personne privée de sa liberté le droit d’introduire un recours devant un tribunal afin de faire contrôler le respect des exigences de procédure et de fond nécessaires à la légalité, au sens de la Convention, de sa privation de liberté. Le concept de « légalité » doit avoir le même sens au paragraphe 4 de l’article 5 qu’au paragraphe 1, de sorte qu’une personne détenue a le droit de faire contrôler la régularité de sa détention sous l’angle non seulement du droit interne, mais aussi de la Convention, des principes généraux qu’elle consacre et du but des restrictions qu’autorise l’article 5 § 1 (voir, parmi d’autres, A. et autres c. Royaume-Uni, précité, § 202). La juridiction chargée de ce contrôle doit statuer sur la légalité de la détention « à bref délai » et avoir compétence pour ordonner la libération en cas de détention illégale (Weeks c. Royaume-Uni, 2 mars 1987, § 61, série A no 114 ; Raza c. Bulgarie, no 31465/08, § 76, 11 février 2010).

62. En l’espèce, le Gouvernement a expliqué que la législation interne pertinente a été modifiée en mai 2009 et prévoit désormais un recours spécifique en cas de détention ordonnée en vue d’une reconduite à la frontière. La Cour observe toutefois que ces changements sont intervenus après la remise en liberté du requérant et n’ont pas affecté sa situation. Au moment du placement en rétention du requérant, le droit interne ne prévoyait pas de recours spécifique pour contester la légalité de telles mesures ni de procédure générale de type habeas corpus. Il apparaît toutefois qu’à l’époque pertinente les juridictions examinaient les recours introduits contre une mesure de placement en rétention et le requérant en l’espèce a effectivement pu introduire un tel recours et obtenu qu’un tribunal examine la légalité de sa détention. La Cour examinera donc si le recours auquel il a eu accès satisfait les exigences de l’article 5 § 4.

63. En ce qui concerne tout d’abord l’étendue du contrôle juridictionnel et l’absence alléguée de réponse aux arguments soulevés par le requérant, la Cour observe que dans son recours dirigé contre la mesure de placement l’intéressé ne semble pas avoir soulevé de tels arguments relatifs à l’absence d’information sur les raisons de son arrestation ou sur l’irrégularité de la détention initiale. Bien au contraire, il a admis que le placement en rétention était initialement justifié (paragraphe 9 ci-dessus). Dans ces circonstances, le tribunal examinant son recours n’était pas tenu de développer de motivations sur ces points.

64. Quant au délai d’examen du recours, la Cour note que le recours introduit par le requérant le 4 octobre 2004 a été examiné en première instance le 16 février 2005, puis en appel le 27 septembre 2005 ; au total, onze mois et demi ont été nécessaires à son examen. La Cour rappelle que si l’article 5 § 4 n’astreint pas les Etats contractants à instaurer un double degré de juridiction pour l’examen de la légalité de la détention et celui des demandes d’élargissement, un Etat qui se dote d’un tel système doit en principe accorder les mêmes garanties aussi bien en appel qu’en première instance, notamment en ce qui concerne l’exigence de statuer à « bref délai » (Navarra c. France, 23 novembre 1993, §§ 28-29, série A no 273‑B).

65. En l’occurrence, le délai global d’examen du recours du requérant, qui s’élève à plus de onze mois, apparaît comme inacceptable au regard de l’exigence de célérité du contrôle judiciaire voulue par l’article 5 § 4, et ce d’autant plus que la détention du requérant n’avait pas fait l’objet d’un examen par un tribunal jusqu’à ce moment (voir Rahmani et Dineva, précité, § 80).

66. En outre, l’introduction du recours avait été retardée en l’espèce par le fait que l’arrêté de placement n’avait apparemment pas été formellement notifié au requérant, qu’il n’avait pas été informé de la possibilité d’introduire un recours contre la mesure de placement en rétention et n’avait pas pu s’entretenir avec un avocat pendant les trois premiers mois de sa détention (paragraphes 8 et 9 ci-dessus). Ces circonstances ont eu pour effet de retarder d’autant plus le contrôle de la légalité de la détention par un tribunal. La Cour rappelle à cet égard qu’elle a déjà eu l’occasion de souligner l’importance de garantir aux personnes concernées par une mesure d’éloignement, dont les conséquences sont potentiellement irréversibles, le droit d’obtenir des informations suffisantes leur permettant d’avoir un accès effectif aux procédures pertinentes et d’étayer leurs griefs (voir, mutatis mutandis, Hirsi Jamaa et autres c. Italie [GC], no 27765/09, § 204, CEDH 2012 et M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC], no 30696/09, § 304, CEDH 2011).

67. La Cour observe par ailleurs que si l’arrêt du 27 septembre 2005 a annulé l’arrêté de placement en détention du requérant, cette décision n’a pas ordonné la libération immédiate de l’intéressé, qui a dû introduire une demande en ce sens auprès du centre de placement et n’a été remis en liberté que 17 jours plus tard, le 14 octobre 2005. Dans ces circonstances, la Cour n’est pas convaincue que le tribunal auquel le requérant a eu accès avait compétence pour ordonner sa libération après avoir constaté l’illégalité de la détention, comme l’exige l’article 5 § 4 (Rahmani et Dineva, précité, § 81).

68. Au vu de ces observations, la Cour constate que le recours judiciaire auquel le requérant a eu accès pour contester la légalité de sa détention ne répondait pas à l’exigence de célérité du contrôle juridictionnel et que le tribunal chargé de ce contrôle n’avait pas le pouvoir d’ordonner la libération immédiate de l’intéressé en cas de constat de détention illégale. Il s’ensuit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

69. Le requérant se plaint par ailleurs des mauvaises conditions de sa détention au centre de placement pour adultes Druzhba-2, qu’il considère comme contraire aux exigences de l’article 3 de la Convention. L’article 3 se lit comme suit :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

Sur la recevabilité

1. Arguments des parties

70. Le Gouvernement soulève une exception de non-épuisement des voies de recours internes, considérant que le requérant pouvait obtenir une indemnisation en vertu de la loi de 1988 sur la responsabilité de l’Etat. Il met en avant le développement de la jurisprudence interne qui applique désormais cette loi à des actions en réparation du préjudice subi du fait de mauvaises conditions de détention et se réfère à plusieurs arrêts de la Cour qui ont reconnu le caractère effectif de cette voie de recours les besoins de l’article 35 § 1 de la Convention.

71. Le requérant expose qu’il n’était pas en mesure d’introduire une telle action car il ne parlait pas le bulgare, n’avait aucune connaissance de la législation et n’avait pas droit à l’assistance judiciaire dont l’octroi était conditionné à une inscription auprès des services sociaux. Il souligne par ailleurs que le Gouvernement n’a fourni aucun exemple où de telles actions avaient été engagées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière et avaient abouti.

2. Appréciation de la Cour

72. La Cour l’a rappelé ci-dessus (paragraphes 38-39), la règle de l’épuisement des voies de recours internes oblige un requérant à se prévaloir des recours normalement disponibles et suffisants pour lui permettre d’obtenir réparation des violations qu’il allègue. Ces recours doivent exister à un degré́ suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi leur manqueraient l’effectivité et l’accessibilité voulues (Akdivar et autres, paragraphes précités ; Mammadov c. Azerbaïdjan, no 34445/04, § 51, 11 janvier 2007).

73. En l’espèce, la Cour note que l’article 1, alinéa 1, de la loi de 1988 sur la responsabilité de l’Etat, tel qu’appliqué par la jurisprudence interne, permet d’obtenir une indemnisation pour le préjudice subi du fait de mauvaises conditions ou de soins médicaux inappropriés en détention. Elle rappelle avoir déjà déclaré dans d’autres affaires contre la Bulgarie que, suite au développement de la jurisprudence des tribunaux internes depuis 2003, l’action en réparation contre l’Etat pouvait en principe être considérée comme un recours effectif dans pareille situation (Hristov c. Bulgarie (déc.), no 36794/03, 18 mars 2008 ; Kirilov, précité, §§ 43-48 ; Shishmanov c. Bulgarie, no 37449/02, §§ 58-62, 8 janvier 2009), sous réserve que la personne concernée ne soit plus détenue dans les mêmes conditions (Radkov c. Bulgarie (no 2), no 18382/05, § 59, 10 février 2011 ; Iliev et autres c. Bulgarie, nos 4473/02 et 34138/04, § 56, 10 février 2011).

74. La Cour relève qu’en l’espèce le requérant a été remis en liberté en octobre 2005, postérieurement à l’évolution jurisprudentielle en question. L’intéressé conteste toutefois l’efficacité d’un tel recours dans son cas particulier. Il souligne à ce titre qu’il n’existe pas d’exemples où l’article 1 de la loi sur la responsabilité de l’Etat aurait été appliqué à la détention d’un étranger en situation irrégulière. La Cour note que s’il est vrai que la jurisprudence au titre de l’article 1 de la loi sur la responsabilité de l’Etat s’est d’abord développée en relation avec les conditions dans les prisons et les centres de détention provisoire, elle a également été appliquée à l’égard des conditions dans les centres de rétention pour étrangers (voir paragraphe 34 ci-dessus). Rien ne permet à la Cour de considérer que si le requérant avait introduit une telle action, celle-ci n’aurait pas été examinée au motif qu’il était étranger ou que sa détention avait été effectuée aux fins d’une reconduite à la frontière. En tout état de cause, la Cour rappelle qu’en cas de doute sur les chances de succès d’un recours interne, ce recours doit être tenté (Knebl c. République tchèque, no 20157/05, § 105, 28 octobre 2010).

75. En ce qui concerne les difficultés pratiques exposées par le requérant – son absence de connaissance de la législation interne et l’impossibilité d’obtenir l’assistance judiciaire, la Cour rappelle qu’elle a admis qu’un requérant pouvait être dispensé d’épuiser une voie de recours dans des circonstances exceptionnelles, telles l’existence d’une pratique administrative de tolérance des violations alléguées (Akdivar et autres, précité, § 69). Toutefois, l’absence de connaissances juridiques, de moyens suffisants ou d’aide juridictionnelle ne dispensent pas en principe le requérant de tenter d’introduire le recours en question (Van Oosterwijck c. Belgique, 6 novembre 1980, § 38, série A no 40). La Cour observe en outre qu’en l’espèce le requérant a eu accès à l’assistance gratuite d’un avocat à l’occasion du recours introduit contre son placement en détention et également de l’introduction de la présente requête devant la Cour.

76. Au vu de ces observations, la Cour estime que le requérant n’a pas épuisé les recours dont il disposait en droit interne et qu’il échet de faire droit à l’exception soulevée par le Gouvernement.

77. Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

IV. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

78. Le requérant se plaint enfin de ne pas avoir été informé, à bref délai et dans une langue qu’il comprenait, des raisons de son arrestation, en violation de l’article 5 § 2, qui dispose comme suit :

« Toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu’elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle. »

79. La Cour relève que le requérant a été informé des raisons de son arrestation et de sa détention au plus tard le 4 octobre 2004 lorsqu’il a, avec l’assistance d’un avocat, introduit un recours contre l’arrêté ordonnant son placement (paragraphe 9 ci-dessus). En l’absence de voies de recours susceptibles de remédier à la violation alléguée, le délai de six mois prévu à l’article 35 § 1 de la Convention a couru au plus tard à compter de ce jour (Maletchkov c. Bulgarie, no 57830/00, § 61, 28 juin 2007).

80. Il s’ensuit que la requête, introduite le 16 août 2005, est tardive en ce qui concerne ce grief qui doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

V. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

81. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

82. Le requérant réclame 60 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi du fait de la violation de l’article 5, ainsi que 3 000 EUR du chef des mauvaises conditions dans lesquelles il aurait été détenu.

83. Le Gouvernement juge ces prétentions excessives.

84. La Cour considère que le requérant a subi un préjudice moral du fait des violations constatées de l’article 5 § 1 et 5 § 4. Statuant en équité, comme le veut l’article 41, elle alloue à l’intéressé 3 500 EUR à ce titre.

B. Frais et dépens

85. Le requérant demande également 2 800 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour au titre d’honoraires d’avocat. Il présente un décompte du travail effectué par son représentant pour un total de 35 heures au taux horaire de 80 euros. Il demande que le montant alloué par la Cour soit directement versé à son avocat.

86. Le Gouvernement estime ces prétentions excessives, tant concernant le nombre d’heures effectuées que le taux horaire appliqué.

87. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des critères susmentionnés et des éléments en sa possession, la Cour estime raisonnable un montant de 2 000 EUR pour les frais et dépens encourus devant la Cour et l’accorde au requérant.

C. Intérêts moratoires

88. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés du caractère irrégulier de la détention du requérant au regard de l’article 5 § 1 f) et de l’efficacité des recours disponibles pour contester la légalité de la détention et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention ;

4. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en levs bulgares, au taux applicable à la date du règlement) :

i) 3 500 EUR (trois mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

iii) 2 000 EUR (deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens, à verser sur le compte désigné par l’avocat du requérant ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 12 mars 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Lawrence Early Ineta Ziemele
Greffier Présidente
TERMINATOR

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